Voici l'intervention faite par Nouzha Skalli, députée du Parti du Progrès et du Socialisme à la Chambre des Représentants, devant le IIIe Congrès mondial pour l'abolition de la peine de mort, tenu la semaine dernière à Paris. C'est pour moi une joie et un honneur de participer au IIIe congrès mondial contre la peine de mort aux côtés des abolitionnistes du monde entier, qui se tient à Paris, capitale de la patrie des droits de l'Homme sous le patronage de Jacques Chirac et d'Angéla Merkel!
Et je tiens à remercier la Coalition mondiale contre la peine de mort de m'avoir invité à plaider pour le droit à la vie et contre la peine de mort.
Et je voudrais féliciter et remercier l'ensemble des organisateurs de ce troisième congrès mondial et particulièrement Mr Michel Taubes, délégué général et porte parole d'«Ensemble contre la peine de mort» du Secrétariat exécutif de la coalition mondiale contre la peine de mort, pour tous les efforts qu¹il n¹a cessé de déployer pour appuyer le mouvement abolitionniste au Maroc et pour la réalisation de notre objectif commun qui est l¹abolition de la peine de mort dans notre pays.
L¹objectif est, au-delà du Maroc, d'ouvrir la brèche dans le monde arabo-musulman et d'ouvrir la page de l'abolition de la peine de mort parmi nos pays d'Afrique du Nord et du Moyen Orient sachant qu'aucun des 22 pays de la région, sauf Djibouti, n'a encore franchi le pas vers l'abolition de la peine capitale. L'espoir est permis car les pays du Maghreb n'appliquent plus la peine de mort.
Au Maroc, les progrès accomplis en matière de droits humains durant ces dernières années nous permettent d'être optimistes.
Le Maroc pourrait devenir le 100e pays abolitionniste du monde.
Les progrès accomplis au Maroc
en matière de droits humains
* En tant que militante de longue date pour les droits humains et pour les droits des femmes au Maroc, je peux vous confirmer les pas importants franchis en matière de droits humains conformément au préambule de la Constitution marocaine qui exprime l'engagement du Maroc à respecter les droits de l'Homme tels qu¹ils sont universellement reconnus.
* A travers une série de réformes législatives et d¹actions menées pour consolider les droits humains et l'Etat de droit, et également à travers le processus de réconciliation engagé par l'Etat à travers l¹Instance Equité et Réconciliation dont le rapport et les recommandations ont été récemment publiés, tout en comportant la recommandation d¹adhérer au deuxième protocole facultatif annexe du pacte international pour les droits civils et politiques vers l¹abolition de la peine de mort.
Cette Instance dont l¹action a visé à réparer les torts aussi bien au plan matériel que moral subis par les victimes des violations passées des droits humains dans notre pays et à permettre ainsi à tout notre peuple d¹apaiser sa souffrance individuelle et collective, de tourner la page du passé après l¹avoir lue et surtout de mettre en oeuvre les actions recommandées en vue d¹éviter qu¹elles ne se reproduisent plus jamais.
* Parmi les réformes majeures en matière de droits de l¹Homme, avec un grand F, il y a lieu aussi de citer la réforme du Code de la Famille qui est aujourd¹hui fondé sur le principe de l'égalité et de la co-responsabilité entre les sexes et qui a aboli la tutelle exercée sur la femme majeure en lui permettant ainsi d'être pleinement maîtresse de son devenir et, par la même occasion, citoyenne à part entière.
* Parmi les bienfaits multiples de cette réforme et ses conséquences positives sur les femmes, les enfants, la famille et la société tout entière, permettez-moi d¹attirer l¹attention sur le fait que cette réforme a montré clairement que les principes de droits humains et d¹égalité sont parfaitement compatibles avec la noble Religion qui est celle de l¹immense majorité des Marocains et Marocaines, et qui est l'Islam. Elle comporte à l¹instar d¹autres religions des principes humanistes de respect de la dignité humaine, de liberté et d¹égalité entre les êtres humains.
Les avancées réalisées par notre pays en matière de droits humains et de démocratie, nous les devons à la conjonction de plusieurs facteurs et particulièrement aux luttes menées par notre peuple depuis plusieurs décennies à travers le mouvement démocratique et la société civile. Nous le devons aussi à un Roi jeune et particulièrement imprégné des valeurs des droits de l¹Homme. Nous le devons également au fait que l¹Etat aujourd¹hui, à tous les niveaux de responsabilité, a choisi l'option démocratique, l¹option des avancées en matière de droits humains et d¹Etat de droit visant un projet de société moderne et démocratique.
La peine de mort fait encore partie
de l'arsenal pénal au Maroc et dans
l'ensemble des pays arabes et musulmans
Or le Maroc, qui a réalisé des avancées dont nous sommes si fiers et qui lui donnent actuellement une excellente image, continue à user dans sa législation de la peine de mort comme sanction dans près d'un millier d¹articles .
Au Maroc, il y a actuellement 151 personnes condamnées à mort, dont 8 femmes. Certes, nous savons que le Maroc n¹exécute plus la peine de mort depuis des années (la dernière date de plus de 10 ans), à l¹instar d¹autres pays de la région comme la Tunisie, la Maurétanie et l¹Algérie.
Mais les personnes condamnées à mort, vivent dans des conditions catastrophiques et inhumaines et le simple fait de savoir qu¹à tout moment la sentence pourrait être appliquée constitue une terrible torture morale à l¹encontre de ces personnes.
Plaidoyer pour l'abolition
de la peine de mort
Je voudrais exprimer mon soutien et mon adhésion aux nobles objectifs du mouvement abolitionniste et partager avec vous tous et vous toutes la noble mission d¹agir en vue de l¹abolition définitive de la peine de mort car nous faisons partie de l¹humanité qui considère que le droit à la vie est un droit sacré. Rien n¹est plus cher à l¹être humain que son droit à la vie. Il en va de même à Dieu, et ceci dans toutes les religions. Le fait de donner la mort à autrui ou de l¹amputer, ou de porter atteinte à l¹intégrité corporelle des personnes est un acte barbare que rien ne saurait justifier. Et ceci est valable pour tout le monde et quelles que soient les circonstances. Si les criminels sont légalement, socialement et humainement condamnables, comment peut-on justifier le fait d¹infliger la mort à cet être humain, et ceci quel que soit le crime pour lequel il est condamné ?
Je voudrais ici partager avec vous un plaidoyer dans lequel je reprends au moins une dizaine d¹arguments en faveur de l¹abolition de la peine de mort.
1. La mise à mort d'une personne est un acte inhumain et barbare
2. Contrairement à ce que l'on tente de faire croire, il n'y a aucune façon de donner la mort de façon «propre» ou «civilisée» : l'exécution est toujours atroce que ce soit par injection, par choc électrique, par pendaison ou par peloton d¹exécution. C¹est un acte de torture extrême qui est condamnable sur tous les plans et contraire aux principes humanitaires et du droit.
3. L¹erreur judiciaire est toujours possible même quand le condamné avoue son crime (aveux destinés à couvrir un proche présumé coupable ou extorqués par des pressions physiques ou morales). De plus les tribunaux ne sont pas toujours indépendants et les procès ne sont pas toujours équitables comme le montrent les condamnations et executions récentes en Irak.
4. C¹est une peine cruelle et absolue et la seule peine qui revêt un caractère irréversible et qui ne permet au criminel ni de s¹amender ni de se repentir. Elle ne laisse pas de place au pardon. Alors que le pardon et le repentir sont des valeurs fortes et recommandées dans les nobles principes de l¹Islam. Elle ne laisse pas de place à la justice de réviser son jugement en cas d¹erreur judiciaire : imaginez ce qu¹il serait advenu si le célèbre jardinier marocain Omar Reddad, accusé injustement de crime en France, avait été condamné dans un pays ou la peine de mort est exécutée.
5. De plus, la peine de mort, sanction absolue est susceptible d¹être appliquée pour des crimes ayant un caractère relatif dans l¹espace et dans le temps
* Pour punir l¹apostasie alors que dans la plupart des pays du monde la liberté de croyance est garantie par la loi et que le saint coran déclare : «nulle contrainte en religion»,
* Pour punir l¹homosexualité alors que dans beaucoup de pays de la planète on considère celle-ci comme un choix et un droit individuel
* Enfin pour punir l¹adultère ou la relation sexuelle en dehors du mariage alors que tant de pays la liberté sexuelle est considérée comme un droit aussi banal que celui de respirer
6. La peine de mort n¹est en rien dissuasive et ne fait en rien reculer la criminalité, bien au contraire comme le montrent les statistiques des pays qui appliquent cette peine. D¹ailleurs au moment où on parle de la peine de mort pour sanctionner les actes terroristes, ne voit-on pas que ce sont des dizaines de jeunes qui sont prêts à se faire exploser ? Faut-il alors les condamner à mort alors qu¹ils se sont eux-mêmes condamnés à mourir, ou au contraire les convaincre que la vie , y compris la leur , est sacrée et que nul n¹a le droit d¹en disposer y compris eux-mêmes.
7. Quelle que soit l¹horreur du crime commis, le criminel est rarement seul à endosser la totalité de la responsabilité (il s¹agit souvent de personnes ayant elles mêmes subi des violences physiques ou morales) ou ayant vécu des circonstances personnelles ou sociales ayant conduit à de tels crimes.
8. La peine de mort constitue une sanction collective et ne sanctionne pas le condamné seul mais également ses enfants innocents qui sont condamnés à être orphelins, ses parents, son conjoint, toute sa famille et ses amis. J¹ai eu l¹occasion d¹assister une mère courageuse qui lutte depuis des années pour sauver la vie de son fils, un ingénieur marocain Mostapha Lehmam condamné à mort en Maurétanie après un procès qui n¹a duré de 15 jours. La femme de Mostapha Lehmam était enceinte lors de sa conda nation. Il a aujourd¹hui une petite fille de 4 ans qu'il n'a jamais vu et qui ne l¹a jamais vu. Quel regard aura-t-elle sur la société une fois adulte quand elle apprendrait qu¹on a tué son père de sang froid ?
9. L¹ampleur du mouvement abolitionniste inscrit l'abolition de la peine de mort dans les progrès des droits humains, le droit à la vie figurant dans plusieurs conventions internationales et notamment dans l¹article 3 de la déclaration universelle des droits de l'Homme.
10. Enfin, les statistiques montrent que l¹immense majorité des grands criminels appartient aux couches sociales les plus défavorisées, ce qui fait de la peine de mort une peine qui vise surtout les plus marginalisés, déjà socialement sanctionnés. Aux Etats-Unis, il est bien connu que ceux qui ont les moyens de payer un bon avocat s¹en sortent en général et ne sont guère condamnés à mort.
La marche vers l'abolition
Dans notre pays des voix se sont élevées dès 2003, pour demander l¹abolition de la peine de mort depuis des années et plus précisément, le 10 octobre 2003, s¹est constituée une coalition nationale pour lutter contre la peine de mort à l¹initiative de 6 associations :
- Association des barreaux des avocats du Maroc
- AMDH /OMDH / Amnesty Maroc
- FVJ (Forum Vérité et Justice) / Centre des droits des Gens
- Observatoire national des prisons.
Je saisis cette occasion pour rendre hommage à des militants abolitionnistes comme Youssef Madad et Fatna Lebouih pour l¹excellente action qu¹ils ont entrepris avec d¹autres militants
J¹ai eu moi-même l¹honneur, en date du 11/05/05, de poser, au nom de mon groupe parlementaire, le Groupe de l¹Alliance Socialiste, une question orale au Parlement adressée au ministre de la Justice, Mr Med Bouzoubâa, portant sur l¹abolition de la peine de mort et incitant le gouvernement à adhérer au deuxième protocole facultatif annexe du pacte international pour les droits civils et politiques et abolir définitivement la peine de mort de notre législation et amnistier l¹ensemble des condamnés à cette lourde et cruelle peine.
La réponse de Monsieur le Ministre de la Justice a confirmé l¹espoir que nous avons de voir bientôt notre pays rejoindre les pays qui ont aboli cette peine cruelle.
Enfin, tout récemment, un groupe parlementaire a déposé une proposition de loi en vue d¹abolir la peine de mort au Maroc et a organisé une journée d¹étude au Parlement sur l¹abolition de cette peine.
Toutes ces activités ont été largement médiatisées et les médias n¹ont ménagé aucun effort pour promouvoir cette idée.
Ces efforts ont connu des moments forts grâce à des émissions télévisées aussi bien sur la première chaîne que sur la deuxième chaîne 2M qui a organisé une grande émission bouleversante dans les couloirs de la mort en décembre dernier.
Enfin l¹assemblée générale de la coalition mondiale contre la peine de mort s¹est tenue à Casablanca le 20 juillet 2006
Dans d'autres pays arabes, des pas sont accomplis : des personnalités de premier plan se prononcent aujourd¹hui pour l'abolition de la peine de mort : des ministres au Maroc, en Algérie, au Liban, en Jordanie. Le droit de grâce des chefs d¹Etat est largement utilisé.
Enfin des pas sont accomplis à travers la Charte arabe des droits de l¹Homme qui proclame le droit à la vie, protégé par la loi, bien qu¹elle n'abolisse pas la peine de mort.
Aujourd¹hui les abolitionnistes des pays arabes devraient pouvoir organiser une Coalition arabe pour l¹abolition de la peine de mort afin de concrétiser la démarche conduisant à l¹abolition de la peine de mort dans l¹ensemble des pays arabes.
Pour conclure en tant que militante des droits humains et députée, représentante de la Nation, j¹exprime mon vif souhait et mon immense espoir de voir le Maroc ainsi que l¹ensemble des pays de notre région adhérer au deuxième protocole facultatif annexe du pacte international pour les droits civils et politiques et abolir définitivement la peine de mort de notre législation et amnistier l¹ensemble des condamnés à cette lourde et cruelle peine. Je lance un vibrant appel au gouvernement marocain pour lancer le processus dès aujourd¹hui et annoncer la signature du deuxième protocole facultatif du Pacte International relatif aux droits civils et politiques prévoyant la cessation immédiate des exécutions (ce qui est déjà fait) et l¹abolition de la peine de mort (ce qui doit être fait, afin de donner un signal fort à tous les citoyens et citoyennes que l¹Etat accorde toute la valeur à la vie humaine dans notre pays et que par conséquent, il s¹interdit de disposer de la vie d¹un être humain quel que soit le crime commis); abolir la peine de mort à l¹instar de pays amis comme le Sénégal, le Mexique ou les Philippines
Je joint également ma voix à la vôtre pour lancer un appel à la Chine afin qu¹elle prononce un moratoire à l¹exécution de la peine de mort en perspective des Jeux olympiques de 2008.
Je dis également NON à l¹exécution des 5 infirmières bulgares et du médecin palestinien condamnés à mort en Libye.
J¹exprime enfin le v¦ux que la Coalition mondiale pour l¹abolition de la peine de mort réalise sa noble mission profondément humaniste et civilisationnelle partout dans le monde afin que la vie humaine reste partout une valeur sacrée, protégée par les lois et par les conventions internationales et que tous les êtres humains hommes et femmes puissent vivre dans le respect de leur dignité, de la liberté, de l¹égalité de la sécurité dans le cadre du respect de l¹ensemble de leurs droits acquis dès leur naissance et en tête de ces droits le droit intangible à la vie.
Chaque Homme qu¹on exécute, c¹est mon frère, mon fils, un peu de mon humanité qu¹on assassine.
Disons tous haut et fort :
NON A LA PEINE DE MORT !
OUI à l'ABOLITION TOTALE, IRREVERSIBLE ET UNIVERSELLE DE LA PEINE DE MORT !
Merci.