Quelle que soit la qualité des échanges sur 2M, l’émission de Jamaâ Goulahsen n’en reste pas moins une première, saluée par tous. Partis à cinq, le 10 octobre 2003 à Casablanca, "la Coalition rassemble aujourd’hui sept ONG : Observatoire Marocain des Prisons, AMDH, OMDH, Forum marocain pour la Vérité et la Justice, Centre pour les Droits des Gens (CDG), Association des barreaux d’avocats au Maroc, Amnesty International section marocaine".
Après les serrements de vis liberticides de la loi anti-terroriste post 16 mai 2003 (et son inflation de crimes passibles de la peine capitale : 866 aujourd’hui !), une nouvelle ère semble voir le jour, initiée par le ministère de la Justice lui-même. Le colloque de Meknès de décembre 2004 sur la politique pénale en est l’illustration.
Le passif est lourd. 149 condamnés, hommes et femmes, attendent dans les couloirs de la mort. Depuis 28 ans pour le plus ancien ! Si en 1994 Hassan II avait commué la peine de mort en emprisonnement à perpétuité de 194 condamnés, 13, en effet, n’avaient pu bénéficier de cette grâce. Certes, le Maroc connaît un moratoire, de fait, depuis 1993, date de la dernière exécution (la 211ème depuis l’indépendance). Mais "peut-on imaginer la détresse psychologique, l’angoisse, la torture de ces personnes qui sursautent à la moindre activité au sein de la prison ?" s’indigne Saïd Sohib, chercheur sur le sujet et viscéralement fâché avec le principe même de l’enfermement. Au Maroc, les conditions inhumaines de ces détenus sont encore accentuées par le vide juridique qui les entoure : la loi gérant les établissements pénitenciaires ne prévoit rien en effet pour ces condamnés, soumis à des cas d’exception.
Face aux demandes de la Coalition (commutation de la peine capitale en peine non privative de la vie, gel immédiat de l’application des condamnations à la peine de mort, abrogation définitive de cette peine de la législation marocaine, ratification du 2ème protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant l’abolition de la peine de mort), le ministère semble encore vouloir "laisser le temps au temps". "C’est encore trop tôt" explique Khalid Mokhtari, chargé de communication au ministère, qui reconnaît même – a contrario de tout ce qu’on peut lire – une opinion publique qui pourrait être majoritairement abolitionniste. Il est vrai qu’aucun sondage n’a jamais été réalisé sur cette question et les seuls réalisés (comme celui de Menara auprès de 2500 internautes par exemple) révélaient des scores très serrés. "Il est nécessaire que tous s’expriment. Cela prendra encore quelques mois ou plus. Mais je crois le contexte favorable. Nous tendons vers l’abolition" assure M. Mokhtari qui réaffirme les positions de son ministère en faveur de la suppression de la peine capitale. "C’ est au ministère de prendre l’initiative !".
La coalition n’a d’autres résistances aujourd’hui que l’inertie des politiques, tous en attente du feu vert royal ou ministériel. Les islamistes eux-mêmes sont étrangement silencieux sur le sujet. De toute façon, rappelle l’avocat Abderrahim Jamaï "aucune référence religieuse n’est dans notre droit positif". Est-ce à dire que la résistance sera dans tous les cas bien moindre que toutes celles qui se sont réveillées lors des débats sur la Moudawana ? "La législation marocaine n’est pas un texte sacré !" martèle l’avocat.
"Quel sens la peine de mort a-t-elle aujourd’hui au Maroc ?", s’interroge Youssef Madad. Si cette peine est appliquée de façon discriminatoire, souvent à l’encontre des couches les plus défavorisées qui ne bénéficient pas toujours des garanties de la défense, ni de procès équitables (on se souvient de l’incompétence ahurissante des avocats des inculpés du 16 mai et de ces "procès TGV"), qu’elle est contre productive et non dissuasive (et pas seulement pour ceux qui veulent se faire sauter), elle reste surtout pour ce militant, "vindicative" et en "décalage total avec les discours affichés de relance du pays, de transition démocratique et de tous les débats actuels sur la réforme pénale, sur la réinsertion…". Aberration sur le plan des droits de l’homme, absurdité juridique, face aux tares de la justice marocaine comme à l’orientation résolument démocratique du pays, la peine de mort pourra-t-elle faire encore de vieux os au Maroc ? Il semble que l’abolition soit désormais une question de temps, mais un temps bien long, pour les morts-vivants du quartier B de Kenitra…
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