Aziz Mouride était un ami. C'était aussi un vrai humaniste et un abolitionniste convaincu. Il m'avait décrit la prison de Kénitra le jour de l'exécution de Moutachawik et Bouchaib (avant dernières éxécutions au Maroc). Je reproduis ici ses propos. YB
" La prison centrale de Kénitra rassemblait les condamnés de longue peine et tous les condamnés à mort. Ma cellule donnait exactement sur la petite cour où les condamnés se réunissaient pour taper sur un chiffon enroulé en guise de ballon. En fait, des chaussettes. Chaque jour ils jouaient ainsi. Ils n’avaient droit à rien. Pas même aux contacts avec les autres détenus.
Nous ne les croisions d’ailleurs jamais. Même lorsqu’ils allaient aux douches, les gardiens évacuaient les couloirs. Vers 17 heures, ils regagnaient leurs cellules. Ils n’avaient de contact avec personne, ni autres détenus, ni famille. Certains étaient là depuis 10, 20 ans… la plupart pour des meurtres.
A chaque mouvement de la prison, à chaque changement de gardien, à chaque renforcement de surveillance… ils se disaient « ça y est ça va être mon tour ! » Le plus insupportable : lorsqu’un gardien venait ouvrir leur porte en pleine nuit. Les exécutions avaient toujours lieu la nuit.
J’ai été témoin auditif de départs pour des exécutions. J’avais été réveillé par des cris bestiaux terribles. J’ai entendu la grille de la cour s’ouvrir avec fracas, les pas cadencés des gendarmes. C’était deux types qui avaient tué des enfants. Les gendarmes leur disaient de se taire. Je devinais qu’on leur cagoulait la tête, qu’on les menottait.
Ils ont ensuite été traînés. C’était terrible. L’un hurlait « je suis le seul responsable, mon ami n’y est pour rien ! » Et puis ce fut le silence total, un silence glacial. Il était impossible pour mes camarades et moi de dormir. C’était horrible. J’avais en tête ce cri, jamais entendu. L’homme avait été traîné, on a même dit ensuite qu’il avait fait dans son froc.
Pendant plus d’une semaine les autres condamnés ne se sont plus manifestés. Ils ont cessé de jouer au foot, ne parlaient plus, ne faisaient plus un bruit ».
Autre témoignage : Au quartier B des condamnés à mort (TelQuel)
Membre fondateur du Mouvement du 23 mars, un des principaux courants de l’extrême gauche marocaine de la fin des années 1960, Abdelaziz Mouride est arrêté en 1974 et condamné à 22 ans de prison. Il passe un an et demi au dépôt de Derb Moulay Cherif avant de regagner la prison de Kénitra en 1976 d’où il sortira en 1984, après dix ans de détention. Il publie en 2001 la première BD marocaine, récit terrible de sa détention : "On affame bien les rats"
Les bédéistes algériens lui rendent hommage