La remise en cause de l'abolition de la peine capitale viserait en premier lieu à effrayer les séparatistes kurdes du PKK.
C'était l'une des conditions préalables à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. Ankara devait abandonner la peine de mort. La loi a été votée en 2002. Elle est appliquée depuis 2004, deux ans après l'accession au pouvoir de l'AKP, le Parti pour la justice et le développement, toujours aux affaires aujourd'hui. Pourtant, dimanche dernier, le Premier ministre islamiste Recep Tayyip Erdogan a ouvertement remis en cause cette loi lors d'un meeting de son parti. "Le pouvoir de pardonner un meurtrier appartient à la famille de la victime, pas à nous. Nous devons faire les ajustements nécessaires", a déclaré le chef du gouvernement turc.
Erdogan prétend s'appuyer sur les exemples des États-Unis, de la Russie et de la Chine afin, dit-il, de "réévaluer [sa] position". Deux jours plus tôt, en aparté devant des journalistes, le Premier ministre turc s'est même laissé aller à commenter l'affaire Breivik en Norvège. L'auteur du massacre d'Utoeya a été condamné en août dernier à la peine maximale, soit 21 ans de prison. Une sentence jugée trop faible par le Premier ministre turc qui pense que l'"on devrait pouvoir discuter de la peine de mort pour les crimes de terreur qui causent la mort de plusieurs personnes".
Visé : Abdullah Öcalan, fondateur du PKK
Des propos qui s'expliqueraient par la popularité d'une telle mesure. Selon Erdogan, la majorité des Turcs seraient très favorables au rétablissement de la peine capitale. Pourtant, d'après les analystes, le changement de cap du Premier ministre ne viserait en réalité qu'un seul homme : Abdullah Öcalan, le fondateur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation jugée terroriste par la Turquie, les États-Unis et l'Union européenne. Le militant kurde a été arrêté en 1999 et condamné à mort avant que sa peine ne soit commuée en prison à perpétuité.
Mais les tensions se sont accrues ces dernières semaines, de nombreux combats opposant forces armées turques et combattants kurdes. Ces derniers revendiquent la levée des restrictions sur l'usage de la langue kurde dans la sphère publique et appuient la demande d'Abdullah Öcalan de bénéficier de meilleures conditions de détention ainsi que de pouvoir consulter ses avocats qu'il n'a pas vus depuis quinze mois. En soutien à leur chef, des milliers de prisonniers kurdes sont en grève de la faim depuis le 12 septembre dernier. Une rébellion spontanée qui ne semble pas ébranler Erdogan.
Multiplication des raids de l'armée turque
"Les parents des morts souffrent pendant que d'autres font la fête en mangeant des kebabs", s'est-il emporté. Le propos est violent, les réactions indignées. Les grévistes ont bientôt été rejoints par plusieurs députés kurdes du Parti pour la paix et la démocratie (BDP). Et la tension entre communautés est encore montée d'un cran dernièrement, lorsque l'armée a lancé des raids, au sud-est de la Turquie, visant ouvertement les militants kurdes du PKK. Mardi, trois de ses membres présumés ont été tués lors d'une opération dans la province d'Hakkari. De son côté, l'armée se vante d'avoir mis la main sur des stocks d'armes, de munitions et d'explosifs appartenant au groupe terroriste.
Face à un conflit qui, depuis vingt-huit ans, a causé la mort de plus de 40 000 personnes, Ankara joue plus que jamais la fermeté. Certains observateurs qualifient volontiers Erdogan de populiste, et rien ne semble entraver son ambition politique. Le Premier ministre ne fait en effet plus mystère de sa volonté de se présenter à l'élection présidentielle de 2014.
De notre envoyé spécial en Turquie, Antoine Grenapin