Centre de réinsertion des jeunes détenus
La vie ne s’arrête pas à la prison, ni au fait d’en avoir fait ! A l’intérieur de ce bâtiment à la façade grise, moche, même monstrueuse, des centaines de jeunes détenus, enfants et adolescents, continuent de vivre leur vie. Leur désormais «ordinaire» qui ne leur ferme en rien les portes de l’avenir. Dans cette prison pour mineurs, on apprend un métier, on fait des études, du dessin ou du jardinage… rien de monstrueux !
Le temps semble s’arrêter devant cette énorme porte en fer, à peine trouée d’un côté pour permettre au gardien d’entrevoir les visiteurs. Une dizaine de femmes chargées de paniers et autres sacs ont commencé à arriver depuis la matinée. Formant des petits groupes, elles ne manquent pas de sujets de conversation. Car derrière ce mur, chacune à un fils emprisonné. Nous sommes devant le centre de réinsertion de jeunes détenus de Aïn Sebâa à Casablanca. 11h précise, la porte s’ouvre pour les quelques visiteurs. Les visites étant permises tous les jours à l’exception du week-end. Les familles ne se bousculent pas pour autant. Pas moins de 1055 jeunes prisonniers sont enfermés dans ce bâtiment. Le nombre de visiteurs ne dépasse pas une petite dizaine par jour. Parmi les détenus, aussi jeunes soient-ils, il y en a qui ont passé des mois dans cette prison sans jamais avoir reçu la visite d’un seul proche.
Houssine en est un. Cet enfant de 13 ans n’a jamais reçu une seule visite, même pas de ses propres parents, depuis son incarcération il y a 9 mois. “Ils habitent loin dans la campagne. Ils ne peuvent pas se déplacer pour me voir”, explique-t-il sans rancune. Petit chouchou du centre et de sa «Mama Assia», Houssine est a priori un gentil garçon, discret, presque timide. Derrière son air visiblement calme et réservé, le petit cache décidément un sacré caractère nerveux. Preuve en est la raison de son incarcération : “J’ai commis un meurtre!”, lance-t-il, timidement, mais sans état d’âme… “Je travaillais dans le commerce de poisson. Un matin j’avais commencé normalement ma journée de travail lorsqu’un gars est venu me déranger, il m’a provoqué et poussé à bout. Je lui ai mis le couteau que j’avais dans la main à l’intérieur du ventre”. Le détenu, très jeune, complètement inconscient certainement en effectuant cet assassinat attend toujours que le jugement final le concernant tombe. En attendant, il ne perd pas son temps. Les neuf mois qu’il a passé dans le centre lui ont permis de suivre des cours de menuiserie dans le cadre de la formation professionnelle ouverte à tous les jeunes détenus. L’enfant habile se balade désormais avec son luth. Son désormais motif de fierté, puisqu’il a réussi à le fabriquer lui-même. “Maintenant que j’ai l’instrument, j’ai envie de me mettre à apprendre de la musique. Je voudrais devenir musicien”, confie-t-il tout sourire.
«Mama Assia», une bouffée d’oxygène quotidienne
Dès qu’elle apparaît derrière les barreaux, les adolescents montrent des signes de joie. Assia El Ouadie ne laisse pas passer un jour sans aller à la rencontre de ses enfants des différents centres de détention de mineurs qu’elle dirige. A peine arrivée, Assia commence par faire un saut très rapide à son bureau où elle vérifie l’avancement des demandes de sorties de certains pour les fêtes. “A présent, les enfants peuvent enfin bénéficier de leur droit à la sortie pendant quelques jours, le temps de passer certaines fêtes avec leurs familles”, signale-t-elle.
Le droit de certains prisonniers à sortir pour les fêtes existe pourtant depuis longtemps dans la loi marocaine sans jamais être appliqué. Certaines conditions sont tout de même à remplir. Pour se voir accorder ce privilège, le détenu demandeur doit ainsi avoir déjà fait l’objet d’un jugement final, avoir purgé au moins la moitié de sa peine et, enfin, présenter l’assurance d’avoir une famille pour l’héberger à l’extérieur. Tout en examinant les demandes, Assia El Ouadie parle affectueusement du centre, de ces centaines d’enfants et d’adolescents qu’elle materne. “Notre travail ici est simple : faire sentir et surtout faire comprendre à ces jeunes qu’ils ne sont pas différents de ceux restés à l’extérieur. Qu’ils ne sont que des êtres humains susceptibles de commettre des fautes. Des fautes, ils en ont commis mais peuvent tout aussi bien se faire pardonner. Généralement, nous arrivons à leur transmettre ce message à notre niveau, encore faut-il que la main leur soit tendue à l’extérieur… ce n’est souvent pas le cas malheureusement !”, regrette El Ouadie. La main leur est effectivement rarement tendue à l’extérieur. Une fois dehors, ils sont agressés par les jugements de leur entourage. Souvent prénommés “ouled lhebss” (les enfants de prison), il leur devient difficile de s’intégrer socialement, encore moins professionnellement. La réintégration scolaire devient, pour sa part, des plus difficiles…
La tournée d’Assia El Ouadie fait le plus grand bien aux jeunes détenus. Dès qu’elle dépasse les barreaux de fer pour se mélanger avec les centaines de jeunes détenus, ces derniers se précipitent l’un après l’autre, pour lui faire une demande, se plaindre d’un problème, partager une bonne nouvelle venue de l’extérieur, ou alors simplement se contenter de l’embrasser affectueusement sur la tête. Le premier réflexe de la directrice était de s’assurer auprès de l’un des éducateurs que «ses» enfants avaient bien chanté l’hymne national la matinée.
Et c’est parti pour une longue tournée de 2 bonnes heures dans l’ensemble des pavillons du centre. Elle commence par la cuisine, où certains jeunes semblaient absorbés par leurs marmites. Une dizaine de détenus se sont ainsi improvisés cuistots. De la bonne ambiance dans l’air, nécessaire pour supporter la charge du travail qui les attend : faire à manger à plus de 1000 jeunes, dont la plupart sont des adolescents en pleine croissance.
On s’est soigneusement réparti les tâches. Les uns s’occupent donc de préparer le pain par centaines d’unités, d’autres épluchent les légumes, d’autres encore s’occupent de nettoyer instantanément la cuisine pour éviter d’être encombrés. Au menu de cette journée, “des tajines aux sept légumes”, annonce fièrement l’un des garçons complètement absorbé devant une petite montagne de pommes de terre. Ils n’oublient pas les bonnes manières en invitant chaleureusement leurs visiteurs à rester pour le déjeuner…
L’activité ne manque pas !
A l’heure où cette dizaine de bénévoles s’occupent à préparer à manger à leurs co-détenus. Certains fainéants comme il y en a partout s’amusent à jouer du baby-foot dans une salle de jeu, ou encore papotent tranquillement entre copains dans les couloirs du centre.
D’autres, par contre, ne sont pas moins occupés. Le temps qu’ils auront à rester enfermés dans le centre, il y a moyen de le rentabiliser en apprenant un métier ou simplement en poursuivant ou démarrant les études.
L’activité artistique n’est pas des moindres. Ce matin, le professeur de dessin et de peinture est fidèle à son engagement tout à fait bénévole au sein du centre. Abderrahmane Masik, «Haj Abderrahmane», comme l’appellent ses élèves, divise sa classe en deux niveaux, celui des débutants et des plus avancés. “Je leur fais dessiner des choses gaies, qui portent un peu d’optimisme”. Ce jour-là, les quelques artistes en herbe devaient dessiner une table sur laquelle étaient interposés un téléphone fixe et une plante verte. “Le téléphone signifie les bonnes nouvelles et la plante est signe de vie et de fraîcheur. Je ne veux plus les voir dessiner des barreaux ou un torse nu avec une bougie brûlant dessus. Ce genre de dessins classiques toujours liés aux prisonniers. Je veux qu’ils dessinent la vie et l’espoir”, insiste Abderrahmane Masik.
A la sortie du pavillon, un petit jardin parfaitement bien entretenu donne bien de la vie au centre. Une belle ouverture colorée soigneusement proportionnée. Au fond du jardin, les travaux ne sont pas encore terminés… Derrière un si beau travail, trois enfants de la ville de Ben Slimane, incarcérés pour une affaire de vol d’une épicerie dans leur ville. “Cela fait exactement un mois et un jour que nous sommes ici”, précise l’un d’entre eux. Un mois aurait suffi pour les faire intégrer à la vie du centre. “En arrivant, ils étaient complètement effrayés de l’idée de séjourner ici. Ils n’arrêtaient pas de pleurer”, se rappelle Assia El Ouadie. “Quand j’ai appris que chez eux ils travaillaient dans l’agriculture, j’ai pensé qu’il ne fallait surtout pas les enfermer, mais leur donner l’occasion de ne pas s’éloigner de leur environnement. Les trois adolescents ont donc désormais pour tâche de s’occuper du jardinage au sein du centre”, enchaîne-t-elle.
Pour l’anecdote, Assia se rappelle les premiers jours de ces trois enfants lorsqu’on leur a proposé de s’occuper de l’entretien du jardin. La première réaction de l’aîné du trio aurait été de préciser : “A Ben Slimane, on travaillait à 35 dirhams la journée. Combien on nous payerait ici ?”… Les responsables du centre auront pris le temps qu’il faut pour expliquer aux enfants, sans les brusquer, que tout travail ici ne peut être rémunéré. “Vous êtes ici chez vous, tout ce que vous le faites vous le faites pour vous…”, leur signale d’un ton maternel leur désormais «Mama Assia».
Le jardin mène donc au troisième pavillon réservé aux activités de la formation professionnelle. Plusieurs salles autour d’un patio indiquent plusieurs types d’activités auxquelles les jeunes détenus peuvent s’inscrire au choix. Dans la cour, une voiture «Renault 4» est dans tous ses états. Les étudiants inscrits aux cours de mécanique s’en servent comme modèle. Ils la décortiquent, puis la réparent et rebelote. Cette voiture se trouve être leur outil de travail, dont le moteur, les pneus, la carcasse, les portes, et autres pièces, sont faits et défaits sans cesse à chaque fois que les apprentis mécaniciens devaient passer à la pratique.
Étudier en prison, c’est possible
La vie appartient bien à ceux qui se lèvent tôt, et ceci est d’autant plus valable pour les jeunes prisonniers. S’ils sont tous dans l’obligation (ou presque) de se rendre aux classes tous les jours, peu nombreux sont ceux qui se montrent assidus. Certains préfèrent faire la grasse matinée, mais rien n’échappe à l’administration pédagogique du centre qui se trouve être, dorénavant, sous la houlette directe du ministère de l’Education nationale.
Voilà, en effet, un bout de temps que la direction des prisons ne s’occupe plus de l’aspect pédagogique des études au sein du centre. “On a longtemps revendiqué un tel fonctionnement. Les fonctionnaires de la direction des prisons ne sont pas en mesure de tout chapeauter. Il faut que les gens de l’Education nationale s’occupent de l’enseignement, que ceux de la Formation professionnelle s’occupent des ateliers et autres activités et que les professionnels de la Santé publique aient également un bureau au sein du centre. Nous avons réussi à réaliser les deux premiers objectifs, mais les négociations sont actuellement en cours avec le ministère de la Santé pour les faire venir à l’enceinte même du centre”, explique Assia Al Ouadie.
Des problèmes persistent cependant affectant la qualité et la fréquence des cours au sein du centre. Le personnel enseignant au sein du centre est financièrement lésé : “Ils perçoivent leurs salaires avec beaucoup de retard, obtiennent difficilement des augmentations, encore moins des promotions”, s’indigne Assia El Ouadie. Ceci explique bien les grèves répétitives des enseignants du centre…
Parmi eux, il n’y a pas que des personnes détachées du ministère de tutelle. Hamid Farah, professeur des maths dans le centre depuis quelques mois, n’est autre qu’un ancien détenu. Condamné à la peine de mort en 1991, il a bénéficié de la grâce royale il y a 8 mois de cela. Hamid Farah n’a pas pour autant quitté le milieu carcéral.
Il y revient régulièrement, bénévolement, pour assurer les cours de mathématiques aux jeunes du centre. “Pendant les 13 ans que j’ai passé en prison, j’ai été autodidacte, raconte-t-il. Il faut dire qu’il y a dix ans, l’ambiance était tout autre dans une prison même pour mineurs. Nous étions détenus dans des conditions beaucoup plus difficiles. On n’avait pas les mêmes opportunités dont bénéficient ces jeunes aujourd’hui. Ni ateliers, ni classes, ni activités artistiques ni formation professionnelle. Je me rappelle que même les journaux, on se les procurait clandestinement parce qu’on n’avait pas le droit d’en lire au sein de la prison», développe-t-il.
Et c’est tant mieux si les jeunes détenus ont aujourd’hui plus de chance et de possibilité de d’épanouir dans un pareil centre. A signaler que cette année, cinq de ses jeunes détenus se préparent à passer les examens du baccalauréat et envisageraient même de s’inscrire, si tout va bien pour eux, dans des branches universitaires. Ils auront éventuellement la possibilité de suivre des cours universitaires, toujours à l’intérieur des locaux du centre.
Le centre est doté d’un pavillon administratif et social, divisé en deux services, et qui s’occupe exclusivement du suivi social de ces jeunes. D’abord le service de préparation à la réinsertion (SPR). “Parce que la réinsertion de ces jeunes dans la société commence dès le premier jour de leur détention”, précise un accompagnant social dans ce service.
Le deuxième service s’intéresse au «post-carcéral» qui a pour tâche d’accompagner les sortants. Puisque, explique-t-on, il n’est pas question de lâcher les détenus dans la nature sans leur assurer un suivi social, et même psychologique si besoin est. Ce service fait même des tentatives d’insertion professionnelle au profit des détenus ayant bénéficié d’une formation professionnelle pendant la durée de leur détention.
“Un chef d’entreprise qui souhaite garder l’anonymat nous a fait l’immense faveur d’intégrer dans son entreprise 22 jeunes sortants du centre. Il s’apprête actuellement à en intégrer 8 autres. Nous lui sommes très reconnaissants au nom de ses jeunes avec lesquels nous gardons d’ailleurs très étroitement contact”, de conclure, fièrement, Assia El Ouadie.
____________________________________________________________________________________________
Assia El Ouadie : Une main de fer dans un gant de velours ! Assia El Ouadie a une personnalité qui frappe, un caractère qui marque et des manières qui rassurent ! Par sa sagesse, son regard, ses façons discrètes mais fermes, sa générosité débordante… «Mama Assia», pour les jeunes détenus, a ce petit quelque chose de rassurant. Cette chose qui fait qu’elle arrive à remplacer, le temps qu’il faut, la maman de chacun des détenus du centre, «ses» enfants pendant toute la durée de leur détention, et même à leur sortie…
Que ce soit le centre de réinsertion des jeunes détenus de Aïn Sebaâ, ou toutes les autres maisons de réformes qu’elle dirige à travers le Maroc, Assia El Ouadie le fait d’une main de fer mais dans un gant de velours auquel les jeunes prisonniers sont d’ailleurs bien sensibles. Car derrière l’affreuse muraille du centre, la vie continue, chaleureuse, familiale et utile pour ceux qui savent en profiter. Et cela, c’est en très grande partie grâce au militantisme de cette femme de cœur. Juriste de formation, magistrat de profession pendant plusieurs années, cette native de la ville de Safi, en 1949, a été pour beaucoup dans le changement du monde pénitentiaire au Maroc, notamment pour les mineurs.