Tous pour passer d’une abolition de fait à une abolition de droit, c’est ce que les abolitionnistes de la peine de mort se sont accordés à dire à Marrakech.
Intervenant lors d’une conférence organisée dans le cadre de la deuxième édition du Forum mondial des droits de l’Homme, les militants venus des cinq continents se sont montrés optimistes. La situation s’améliore et de plus en plus de pays optent pour une abolition définitive, ont-ils déclaré. «Aujourd’hui, la situation est très différente d’il y a 30 ans», annonce le président de la Coalition marocaine contre la peine de mort, Abderrahim Jamaï. Selon le bâtonnier, les efforts des militants ont fini par payer dans plusieurs pays surtout en Afrique. Il n’a pas omis de rappeler l’importance du discours royal adressé jeudi aux participants au Forum. Le message évoquant la peine de mort pour la première fois est un bon signe pour les militants de cette cause, a-t-il souligné.
De son côté, Raphaël Chenuil-Hazan, directeur de l’association Ensemble contre la peine de mort (ECPM), et vice-président de la Coalition mondiale contre la peine de mort, a indiqué que les avancées réalisées dans le domaine de l’abolition de la peine de mort sont les plus remarquées par rapport aux autres causes liées aux droits de l’Homme. Selon ce responsable, ce sont quelque 105 pays qui ont aboli la peine de mort aujourd’hui, soit les deux tiers des pays membres des Nations unies. Ces pays ne dépassaient pas le tiers il y a 30 ans, toujours selon M. Hazan. Pour mieux étayer leur thèse, les partisans de l’abolition de la peine de mort se basent sur un principe fondamental selon lequel la justice ne doit pas être synonyme de vengeance.
De plus, ils mettent en avant la nature irréversible de la peine qui peut être prononcée à tort, comme l’ont démontré plusieurs cas partout dans le monde. Sur ce point, la directrice de la Coalition mondiale contre la peine de mort, Maria Donatelli, estime qu’il faut multiplier les efforts pour susciter les débats autour de la question.
S’agissant du Maroc, la responsable trouve que le moratoire observé depuis plusieurs années n’est pas censé durer longtemps et qu’il doit être avant tout un pas vers l’abolition de droit et non pas une situation durable.
Se présentant comme une problématique universelle, l’abolition ne cesse de rassembler les partisans. Au Maroc, c’est tout un réseau de parlementaires contre la peine de mort qui s’est constitué il y a quelques années. Une autre coalition d’avocats a aussi vu le jour. Dans le monde, 160 organisations réparties sur 40 pays se sont rassemblées en une coalition pour mieux faire entendre leur voix auprès des autorités concernées.
Questions à Raphaël Chenuil-Hazan, directeur de l’association Ensemble contre la peine de mort (ECPM), et vice-président de la Coalition mondiale contre la peine de mort
«Le Maroc est prêt aujourd'hui à passer du moratoire à l’abolition»
Quel impact pourrait avoir ce genre d’événement sur la cause des abolitionnistes au Maroc ?
Le fait que l’événement mette la question des droits de l’Homme et l’abolition de la peine de mort au cœur du débat national, au cœur des questions que posent les politiques ainsi que l’opinion publique, est déjà très important. Pour ce qui est de l'impact éventuel ; si vous écoutez le formidable discours de S.M. le Roi hier, vous réaliserez qu'il cite de grandes questions de société, et notamment la peine de mort. Il y a quelque chose qui change dans la société marocaine, vous avez entendu parler du dernier sondage sur la question de la peine de mort où seulement 39% des Marocains sont pour, ça veut dire que même l’opinion publique bouge, que les choses évoluent. La société civile, les hommes politiques... sont prêts à abolir la peine de mort, S.M. le Roi lui-même a dit qu’un débat important devait être mené dans ce sens.
Pensez-vous que le Maroc soit prêt à passer du moratoire à l’abolition ?
Oui, je le crois. D’abord parce que ça fait 23 ans que vous n’avez exécuté personne, donc la peine de mort n’est pas utilisée. Cela veut dire que la peine de mort n’existe pas, elle n’est pas une réalité, donc pourquoi ne pas s’en débarrasser une bonne fois pour toutes pour empêcher un jour qu’elle revienne et pour placer le Maroc parmi ces pays abolitionnistes qui sont majoritaires. Il faut rappeler que la grande majorité, deux tiers des pays du monde ont aboli la peine de mort, ça veut dire que c’est irréversible. Je pense qu'au Maroc l’opinion publique, les parlementaires, les avocats, les sociétés civiles, et même les religieux sont aujourd’hui prêts à passer ce cap.
Les coalitions sont-elles capables de faire pression dans ce sens ?
Il y a huit ans, quand le CPM est venu au Maroc, on ne pouvait pas parler de peine de mort, on en parlait de manière détournée. C’était difficile, les médias n’en parlaient pas, les avocats et les parlementaires n’en parlaient pas. Aujourd’hui, tout le monde sait que dans un État civilisé, dans un État qui avance, on abolit la peine de mort, on abolit la torture et on abolit l’esclavage, c’est le futur et c’est universel, toutes les cultures, toutes les religions avancent dans ce sens.
Le cas du Maroc
Au Maroc, la peine de mort n’a pas été exécutée depuis plus de 20 ans, mais elle continue à être prononcée par les juges du Royaume. Cette abolition de fait n’est pas du goût des abolitionnistes qui revendiquent la fin d’un moratoire qui n'a que «trop duré» pour passer à une abolition de droit. Dans ce sens, le réseau des parlementaires marocains contre la peine de mort avait déjà mis en avant une proposition de loi. Une proposition qui s’articule notamment autour de la suppression de cette peine du Code pénal, du Code de la justice militaire, et de la loi sur le terrorisme. Comptant plus de 160 membres, le réseau des parlementaires marocains contre la peine de mort a été créé en 2012. Présidé par la députée du Parti de l’authenticité et de la modernité, Khadija Rouissi, le réseau prend aussi part aux travaux du Forum de Marrakech à travers des conférences de presse pour sensibiliser à cette question. L.A.