Le culte de la vie. Depuis des mois, le débat sur la peine de mort, ou précisément son abolition, est à l’ordre du jour au Maroc.
Certes, cette revendication n’a eu cesse de revenir, à chaque séminaire ou occasion que les juristes et les militants des droits de l’homme marocains organisent. Pour ces militants, la peine capitale est un anachronisme qui, plus est, ne trouve plus des partisans farouchement déterminés comme ce fût le cas il y a des années.
Bien que le Maroc n’exécute plus les condamnés, le texte juridique est lui-même mis en question, en tant que loi non adéquate au regard "des libertés fondamentales", telles qu’elles sont universellement reconnues. Depuis l’indépendance du Maroc, seules 350 condamnations à mort dont quelque 210 auraient été exécutées, ont été, en effet, prononcées par les tribunaux du pays.
Dernière exécution en date : celle du tristement célèbre commissaire Mustapha Tabit. Faute de sondages, il est peu probable de connaître les grandes tendances au sein de la société marocaine. Ni le taux des abolitionnistes, ni celui des hostiles ne sont connus, encore moins chiffrés et donc catégorisés. L’opinion publique est substituée par les organismes, associations et autres spécialistes en la matière. En général, tous, se sont déclarés hostiles au principe de la peine capitale, et n’ont eu de cesse de revendiquer sa disparition. Les partis et les élus de leur part, se contentent d’utiliser d’autres courroies de transmission. Des associations des droits de l’homme, toujours. Il y a un certain temps le débat sur " l’inefficacité de la terreur ", s’est intensifié. Un "collectif national de lutte pour l’abolition de la peine capitale" a même vu le jour.
Se réclamant ouvertement de l’universalisme des droits de l’homme, ce collectif fustige le caractère "irréversible de la plus irréparable des peines irréparables". Le fait le plus saillant, toutefois, aura sans doute été la participation d’une délégation marocaine à Genève. Conduite par le ministre de la Justice, Mohamed Bouzoubaâ, ladite délégation a participé aux travaux de la 61e session de la commission des droits de l’homme. Intervenant sur le sujet de la peine de mort, le ministre a laissé la porte ouverte à une abolition pure et simple. S’inscrivant dans l’effort mondial de "réformer les Nations Unies", aujourd’hui à la croisée des chemins, la 61e session a été, pour le Maroc, une occasion pour contextualiser ses démarches éventuelles dans ce sens. D’une part, le Maroc a mis en valeur "la réforme en profondeur de l’Administration et de la justice ", et " les efforts accomplis sur les plans normatif et institutionnel pour la promotion des droits de l’homme ".
Tous ces efforts "ont été concrétisés par une série de réformes de la législation touchant particulièrement les aspects des droits civils et politiques ", d’autre part. Dans un premier degré, le Maroc a procédé à une adéquation soutenue des textes en vigueur, à savoir la révision du code pénal et du code de procédure pénale. Chaleureusement accueillies par les différents secteurs de la société, ces réformes auguraient, déjà, une nouvelle manière de " repenser la peine de mort ".
Des droits économiques aux droits culturels, le Maroc s’approche, de plus en plus, des standards onusiens. Cinq moments forts marquent, notamment cette nouvelle perspective. D’abord, la levée des réserves sur l’article 14 de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, et sur les articles 20 et 22 de la convention contre la torture et les autres peines ou " traitements cruels, inhumains ou dégradants ".
Ensuite, l’adhésion au premier protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civiques et politiques. Un pas vers la ratification du deuxième protocole ? Visant l’abolition de la peine de mort, son article premier stipule que: "chaque Etat partie prenante prendra toutes les mesures voulues pour abolir la peine de mort dans le ressort de sa juridiction ".
Aussi bien morale que politique, le choix est ici tributaire d’un travail pédagogique. Les termes du débat, en dépendent également. Les autorités morales, religieuses et culturelles, ainsi que l’opinion publique avaient dans la France d’avant 1981, date de l’abolition, pris partie. Un exemple : l’épiscopat français avait rendu la conclusion d’une réflexion de sa commission sociale. On y retient essentiellement : " le refus de la peine de mort correspond, chez nos contemporains, à un progrès accompli dans le respect de la vie humaine. Pour nous ce progrès dans le respect de l’homme est une approche du respect dont Dieu entoure sa créature ". Edifiant pour nos religieux ? Et l’opinion publique, comment faut-il la faire réagir ? Et dans le monde politique, y aura-t-il un Jean Jaures marocain, qui, comme l’autre dans l’Hexagone s’investit corps et âme contre "la doctrine de fatalité " des partisans de la mort ? Quand elle n’est pas passée sous silence, la question est vouée à un œcuménisme très discret. Il n’en demeure pas moins qu’on n’a pas manqué l’occasion de jeter le pavé dans la mare des idées reçues.
La première semaine du mois d’avril dernier, a fait sûrement date. Car, le débat a été porté à la télévision. Sur la deuxième chaîne, précisément. Ont participé au débat, Ahmed Khamlichi, ancien juge et actuel directeur de Dar Al Hadith Al Hassania, Me. Mustapha Zaher, réputé pour sa défense des condamnés du 16 mai, Mohamed Nabaoui, procureur général, Mohamed Farsi, ex-condamné à mort et enfin un des rescapés des attentats terroristes. Les opinions, on le devine, étaient partagées. Presque irréconciliables. Une chose est sûre, néanmoins : c’est là un progrès, le débat n’est pas confiné au… tabou.