Les abolitionnistes marocains y croient plus que jamais. Et ce 10 octobre, à l'occasion de la Journée mondiale contre la peine de mort, les activistes réunis depuis 2003 au sein de la coalition nationale en lutte contre ce châtiment suprême, comptent bien faire entendre leur voix en rejoignant le concert des initiatives locales organisées de par le monde. "Nous allons organiser un sit-in devant le parlement le mardi soir. Nous allons également rendre public un communiqué reprenant nos principales revendications.
C'est-à-dire l'abrogation définitive de la peine de mort de la législation marocaine, la ratification du 2ème protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort, la révision de toutes les condamnations à mort et l'amélioration des conditions de détention des personnes condamnées à mort", annonce Mustapha Znaïdi, membre de la coalition nationale qui siège depuis cet été au sein du comité de pilotage de la coalition mondiale contre la peine de mort.
L'état des lieux laisse perplexe et donne surtout quelque raison de penser que le Maroc peut, à terme, abolir la peine capitale. Officiellement, le nombre des condamnés à mort est de 129 dont 7 femmes. Selon le ministère de la Justice, 198 condamnations à mort ont été prononcées au Maroc depuis l'indépendance jusqu'en 1994. Et si la dernière exécution remonte à 1993 - la triste affaire du commissaire Tabet- le royaume continuait curieusement, mais à doses homéopathques, de prononcer des sentences extrêmes de mort. Avec les procès de ceux impliqués dans les attentats kamikazes perpétrés à Casablanca le 16 mai 2003, la peine de mort a fait son entrée dans les prétoires. "Fait paradoxal, le Maroc est un pays abolitionniste de fait depuis 1993.
Les sentences de mort sont encore prononcées, ce qui rallonge la liste de celles et ceux qui attendent leur exécution. Au lendemain des attentats du 16 mai 2003, il y a eu normalisation de la peine capitale", déclarait il y a quelques jours Youssef Madad, membre fondateur de l'Observatoire marocain des prisons, à un journal de la place.
Entre textes de loi et pratique, il y a encore comme un fossé. Le législateur marocain est visiblement un inconditionnel de la peine de mort alors que les juges jusqu'aux attentats terroristes de Casablanca la prononçaient avec parcimonie. "Le code pénal de 1962 et le code militaire constituent les textes de référence qui traitent des crimes sanctionnés par une condamnation à mort. Les amendements introduits en 2003 par la loi sur le terrorisme sont venus s'y ajouter. Aujourd'hui, il y a 361 cas recensés où la sentence peut aller jusqu'à la mort. Dans le code pénal, nous trouvons 283 cas contenus dans 28 articles où la peine de mort est citée. En ce qui concerne le code militaire, il existe 66 cas dans 17 articles. Reste enfin la loi sur le terrorisme où le législateur a prévu 12 cas de sentence de mort à travers 4 articles", explique l'avocat Mohamed Ahaddaf.
En avril 2005, la coalition marocaine pour l'abolition de la peine de mort que composent 7 associations de défense des droits humains dont l'OMDH, l'AMDH, le Forum Vérité et Justice et l'Observatoire marocain des prisons a eu accès au couloir de la mort de la prison centrale de Kénitra, l'établissement pénitentiaire qui regroupe la quasi-totalité des détenus -122 sur 129- en attente de leur exécution. Les conditions d'incarcération y sont extrêmement difficiles et la surpopulation carcérale est la règle dans une prison construite en 1936. A cette réalité au quotidien, vient s'ajouter l'immense souffrance psychologique de ceux et celles qui hantent le couloir de la mort.
Le journaliste et bédéiste Abdelaziz Mouride s'en souvient comme hier. Cet ancien détenu politique a "séjourné" à la prison de Kénitra et sa cellule donnait exactement sur la petite cour où les condamnés à mort se réunissaient pour taper sur un chiffon enroulé faisant office de ballon. "Nous ne les croisions jamais. Même lorsqu'ils allaient aux douches, les gardiens évacuaient les couloirs. Ils n'avaient de contact avec personne, ni d'autres détenus ni famille. Certains étaient là depuis 10 ans, 20 ans. La plupart pour des meurtres. A chaque mouvement de la prison, à chaque changement de gardien, à chaque renforcement de la surveillance, ils se disaient, ça y est, ça va être mon tour. Le plus insupportable, c'était lorsqu'un gardien venait ouvrir leur porte en pleine nuit. Les exécutions avaient toujours lieu la nuit. J'ai été témoin auditif de départs pour des exécutions. J'avais été réveillé par des cris bestiaux terribles", témoigne A. Mouride dans le blog marocain des abolitionnistes.
Ce 10 octobre, à l'occasion de la quatrième journée mondiale contre la peine de mort, placée sous le thème des "échecs de la justice" que représente toute exécution, les activistes marocains se mobilisent une fois encore pour que le débat sur l'abolition de la peine de mort s'ouvre enfin en terre marocaine. Interpeller l'opinion publique, sensibiliser les décideurs et faire en sorte que les jeunes générations croient en une justice sans sanction de mort. Une proposition de loi visant l'abolition de la peine serait, semble-t-il, en préparation. Le chemin est encore long et le combat difficile pour que les mentalités rétives s'élèvent pour admettre enfin que la peine de mort est contraire aux principes des droits humains et au premier d'entre eux, le droit à la vie.
Narjis Rerhaye
(Libération Maroc, 9 octobre 2006)