Dans un récent rapport intitulé Stop Torture, Amnesty International (AI) épingle le gouvernement du Maroc (et spécialement ses organes sécuritaires) sur la question de la torture. Sur les 141 pays au monde accusés par AI de pratiquer la torture, le Maroc figure parmi les cinq États où la pratique de la torture est la plus systématique. Loin de disparaître et malgré la législation adoptée en 2006 par le Maroc interdisant son emploi, la torture est largement utilisée, banalisée dans les procédures d’interrogatoires, dans l’indifférence (presque) généralisée des chancelleries européennes.
Le « nouveau règne » n’arrive pas à rompre avec les pratiques des « années de plomb ».
Le rapport signale que « depuis l’accession au trône du roi Mohammed VI, AI continue de recevoir des informations faisant état d’actes de torture et d’autres mauvais traitements infligés par la police ou la gendarmerie lors des interrogatoires en garde à vue et, plus rarement, en prison et en détention au secret dans des centres de détention clandestins ».
Même si le Maroc est doté d’un arsenal juridique sanctionnant la torture et les autres formes de mauvais traitements, « les juges et les magistrats du parquet mènent rarement des enquêtes sur les allégations de torture et d’autres mauvais traitements, ce qui signifie que peu d’auteurs de ces actes ont à rendre des comptes. Le climat d’impunité qui en découle annule le pouvoir dissuasif de la législation du Maroc contre la torture ».
AI constate également que l’Instance Équité et Réconciliation (IER) « n’a pas réussi à défendre le droit à la vérité et à la justice des victimes de torture et d’autres violations des droits humains ainsi que de leurs proches. »
Par ailleurs, le rapport signale que, depuis l’adoption de la loi 03-03 anti-terroriste en 2003, « les informations faisant état de torture et d’autres mauvais traitements se sont multipliées ».
AI s’est arrêté également sur les insuffisances de la loi n° 43-04 du 14 février 2006, qui a élevé la torture au rang d’infraction, mais en excluant la complicité et le consentement tacite des représentants de l’État et des membres des forces de sécurité, ce qui « est contraire à la Convention contre la torture ».
La torture frappe de nombreuses catégories de personnes
La pratique de la torture ne concerne cependant pas uniquement les personnes soupçonnées d’intentions terroristes ; le rapport d’AI montre que son usage est généralisé.
La torture touche « des militants de l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM) ayant des affiliations avec des partis de gauche ou des partis islamistes, des partisans de l’auto-détermination du Sahara occidental, des manifestants qui dénoncent la pauvreté et les inégalités, ainsi que des membres de groupes marginalisés arrêtés pour des infractions de droit commun ».
De plus, AI fait référence aux conclusions exprimées en 2012 par Juan Méndez, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui a constaté que, au Maroc, « (…) la pratique des traitements cruels persiste dans les affaires pénales de droit commun et que, dans les situations de forte tension, comme par exemple en cas de menace perçue à la sécurité nationale, de terrorisme ou de manifestation de masse, il y a un recours accru aux actes de torture et aux mauvais traitements lors de l’arrestation et pendant la détention. »
De nombreuses techniques de tortures avérées
Sur la base de témoignages recueillis auprès de victimes, le rapport dresse une liste de techniques de torture utilisées par les autorités marocaines « pendant que les détenus ont les mains et les pieds liés et les yeux bandés » :
- Les passages à tabac, y compris les coups assénés sur la tête, la plante des pieds, les organes génitaux et d’autres parties sensibles du corps, les détenus étant parfois nus.
- La suspension des détenus, notamment par les poignets, pendant qu’on les passe à tabac.
- Le fait de contraindre les détenus à mettre la tête dans des seaux de toilette ou de les bâillonner avec des chiffons imbibés d’urine.
- Le placement prolongé à l’isolement qui, dans certaines circonstances, peut constituer un traitement cruel, inhumain et dégradant.
- Le viol au moyen d’une bouteille, la menace de viol et d’autres violences sexuelles.
Le cas « Ali Aarrass »
Le rapport fait état en particulier du cas de Ali Aarrass, un belgo-marocain accusé d’association terroriste et détenu au Maroc depuis le 14 décembre 2010, après qu’il a été extradé par l’Espagne, et ce malgré l’avis défavorable du Comité des Droits de l’Homme de l’ONU et d’AI.
Maintenu au secret pendant 12 jours dans le centre de détention clandestin de Témara, près de Rabat, il a affirmé au rapporteur spécial sur la torture, Juan Méndez, qu’on l’avait torturé à plusieurs reprises : coups sur la plante des pieds, décharges électriques sur les testicules, suspensions prolongées par les poignets et brûlures de cigarette.
Lors d’une audition, en février 2011, il avait également déclaré à un juge d’instruction que c’est uniquement sous la torture qu’il avait « avoué » les faits de terrorisme qu’on lui reprochait. Les locaux où a été retenu Ali Aarrass seraient gérés par la Direction générale de la Surveillance du Territoire (DGST).
Le rapporteur spécial sur la torture et un médecin légiste indépendant lui ont rendu visite en détention, en septembre 2012. Ils ont confirmé qu’Ali Aarrass portait des marques de torture qui pouvaient être la conséquence du traitement qu’il disait avoir subi.
Seule mesure qui avait été prise en relation avec les déclarations de torture d’Ali Aarrass au juge chargé de l’instruction, le procureur de Rabat avait ordonné un examen médico-légal, qui avait eu lieu en décembre 2011, un an après les tortures et autres mauvais traitements subis. Le médecin chargé de l’examen, qui avait été choisi par les autorités judiciaires, a conclu qu’Ali Aarrass ne portait aucune marque de torture…
La Belgique n’a pas substantiellement réagi à ce cas, tandis que les relations diplomatiques entre le Maroc et la France sont gelées depuis que la justice française a accepté d’enregistrer une plainte pour torture, déposée par le boxeur professionnel Zakaria Moumni contre le patron du contre-espionnage marocain, Abdellatif Hammouchi.
Ce dernier, lors d’un récent séjour en France, a failli se faire arrêter lorsque la police française l’a interpelé au domicile de l’ambassadeur du Maroc à Paris…